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Note de synthèse

Juillet 2003

Dossier thématique : Agenda Post-Doha
Les questions de Singapour: Interaction du commerce et de la politique de la concurrence




Introduction
Qu’est-ce que la politique de la concurrence ?
La politique de la concurrence, un outil de développement ?
Première étape : la création d’une « culture » de la concurrence
La recherche de coopération internationale par les pays industrialisés et les pays en développement
Amélioration de la coopération par une approche double
Examen par les pairs et règlement des différends
Ententes injustifiables – la bête noire de la politique de la concurrence
Le rôle des principes fondamentaux de l’OMC dans un Accord multilatéral sur la concurrence
Eléments probables d’un éventuel Accord sur la concurrence de l’OMC

I. Introduction

1. La proposition consistant à ajouter de nouvelles obligations en matière de politique de la concurrence à l’OMCest source de confusion pour un certain nombre de délégations. Parfois, la concurrence dans le cadre du Programme de travail de Doha est  présentée tout simplement comme l’une des questions dites « de Singapour », imposées aux membres de l’OMC par l’Union européenne et certains autres participants industrialisés. Les politiques de la concurrence sont pourtant de plus en plus reconnues comme étant des composantes essentielles du développement économique, s’appuyant sur une coopération internationale efficace et le renforcement réel des institutions.

2. Si l’on creuse un peu, d’autres intentions apparaissent. Les pays industrialisés veulent accroître la coopération entre leurs propres autorités chargées de la concurrence ; beaucoup de gouvernements veulent avoir des outils plus efficaces pour traiter avec fermeté les activités des « ententes injustifiables », et les grandes banques et entreprises souhaitent faciliter l’évaluation des fusions et acquisitions à travers le monde. Vaut-il mieux chercher à atteindre ces objectifs au niveau multilatéral et serait-il plus facile de le faire dans le cadre de l’OMC ? Ne serait-il pas logique d’élargir la portée des disciplines de l’OMC pour qu’elles ne s’appliquent plus uniquement au comportement des gouvernements, mais aussi à celui du secteur privé ? Si tel est le cas, ne va-t-on pas encore faire peser de nouvelles charges sur les épaules des pays en développement qui peinent déjà à mettre en œuvre les engagements pris au titre du Cycle d’Uruguay ? Ne court-on pas le risque de créer des obligations multilatérales qui finiront par donner à l’OMC le pouvoir d’empiéter sur de puissantes autorités nationales de la concurrence ?

3. L’OMC est loin d’être le seul forum où ces questions sont débattues. La CNUCED, l’OCDE, ainsi que diverses initiatives régionales ou initiatives sectorielles privées s’y sont attelées depuis des années. Bien que l’on comprenne maintenant beaucoup mieux la politique de la concurrence, et particulièrement toute son importance pour le développement, les travaux entrepris n’ont pas jusqu’à présent fait beaucoup avancer la coopération multilatérale. D’où l’intérêt que suscite le mandat de l’OMC dans le cadre du Programme de travail de Doha, qui dispose essentiellement ce qui suit :

« Reconnaissant les arguments en faveur d’un cadre multilatéral destiné à améliorer la contribution de la politique de la concurrence au commerce international et au développement, et la nécessité d’une assistance technique et d’un renforcement des capacités accrus dans ce domaine ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 24, nous convenons que des négociations auront lieu après la cinquième session de la Conférence ministérielle sur la base d’une décision qui sera prise, par consensus explicite, à cette session sur les modalités des négociations. »

4. Ici, l’élément déclencheur des négociations – après la Conférence ministérielle de Cancún en septembre 2003 – est donc le même que pour les autres « nouvelles » questions dites de Singapour. Le paragraphe 24 de la Déclaration insiste sur l’attention particulière qu’il convient de porter à l’assistance technique et indique qu’il faudra préciser les domaines susceptibles d’être visés par un éventuel accord :

« Jusqu’à la cinquième session, la suite des travaux du Groupe de travail de l’interaction du commerce et de la politique de la concurrence sera centrée sur la clarification qui suit : principes fondamentaux, y compris transparence, non-discrimination et équité au plan de la procédure, et dispositions relatives aux ententes injustifiables ; modalités d’une coopération volontaire ; et soutien en faveur du renforcement progressif des institutions chargées de la concurrence dans les pays en développement au moyen du renforcement des capacités. Il sera pleinement tenu compte des besoins des pays en développement et pays les moins avancés participants et une flexibilité appropriée sera prévue pour y répondre. »

5. Conformément au programme de travail de 2002, le groupe de travail a tenu quatre réunions formelles. Les deux premières, en avril et début juillet 2002, ont avant tout porté sur les institutions chargées de la concurrence dans les pays en développement, puis sur les ententes injustifiables et la coopération volontaire respectivement. La réunion qui s’est tenue fin septembre 2002 s’est axée sur les principes fondamentaux (y compris la transparence, la non-discrimination et l’équité au plan de la procédure) ; au cours de la quatrième réunion fin novembre a été examiné le rapport annuel [Note 1]. L’assistance technique et le renforcement des capacités ont été évoqués lors de chaque réunion. Deux autres réunions étaient prévues en 2003, l’une en février et l’autre fin mai 2003, avant la cinquième Conférence ministérielle de septembre 2003 à Cancún, au cours de laquelle seront pour la première fois examinées la nature et la portée des mécanismes de mise en conformité qui feraient partie d’un éventuel cadre multilatéral sur la politique de la concurrence. À la réunion du mois de mai, la dernière avant Cancún, plusieurs points ont été abordés : les éléments du paragraphe 25 de la Déclaration ministérielle et les questions soulevées en 2002 sur lesquelles les membres souhaitaient revenir ; les mécanismes de mise en conformité au titre d’un cadre multilatéral sur la politique de la concurrence ; le bilan des expériences et législations nationales ; la coopération technique et le renforcement des capacités.

II. Qu’est-ce que la politique de la concurrence ?

6. La politique de la concurrence vise le comportement des entreprises, et notamment la façon dont celui-ci touche les consommateurs, qu’il s’agisse de particuliers, d’autres secteurs ou d’autres entreprises. La définition d’un représentant [Note 2] résume ainsi la politique de la concurrence :

« Une politique de la concurrence efficace couvre tout un éventail de pratiques commerciales restrictives. Elle doit couvrir les restrictions horizontales et verticales, les fusions et acquisitions, les abus de position dominante ainsi que les ententes injustifiables, mais elle doit aussi s’inscrire dans le contexte plus large du droit commercial. La politique de la concurrence renforce et sous-tend le fonctionnement efficace du marché intérieur ».

Une autre définition [Note 3] indique:

« La politique de la concurrence, ce sont « les mesures du gouvernement qui touchent directement au comportement des entreprises et à la structure de l’industrie ». La politique de la concurrence vise à promouvoir l’efficience et à développer au maximum le bien-être. »

7. Le GATT et l’OMC ont essentiellement eu pour rôle de promouvoir des conditions concurrentielles de commerce entre pays, de même qu’entre produits importés et produits fabriqués au plan national. Il s’agit avant tout de mettre en place un cadre dans lequel les gouvernements peuvent élaborer un droit et une réglementation du commerce. Cependant, c’est aux gouvernements qu’il est revenu de fixer les conditions applicables aux activités des entreprises nationales. Il est vrai que les règles de l’OMC en matière d’antidumping ont une incidence directe sur le comportement des entreprises. Il est vrai aussi que les Accords issus du Cycle d’Uruguay – sur les ADPIC et sur les services, par exemple – ont commencé à restreindre la marge de manœuvre dont disposent les gouvernements pour définir les conditions de la concurrence intérieure, en particulier lorsque des entreprises étrangères sont actives sur le marché.

8. Le GATT et l’OMC ont permis d’ouvrir les marchés et d’améliorer les conditions de la concurrence internationale ; c’est en partie pour cette raison que l’économie mondiale a évolué et que les entreprises de dimensions mondiales ont proliféré. Aujourd’hui, l’attention se porte de plus en plus sur les activités des entreprises qui portent atteinte à l’environnement concurrentiel, créé par les règles commerciales. Cela n’est pas tout à fait nouveau : les politiques de la concurrence sont partiellement couvertes par le GATT, avec les règles relatives aux entreprises commerciales d’État, et l’article 40 de l’Accord sur les ADPIC de l’OMC qui vise les pratiques anticoncurrentielles en ce qui concerne l’octroi de licences pour les droits de propriété intellectuelle.

III. La politique de la concurrence, un outil de développement ?

9. Ce n’est cependant pas le comportement des multinationales qui a poussé les gouvernements à conclure qu’une politique de la concurrence efficace est une condition essentielle de promotion du développement. D’après la CNUCED, plus de 90 membres de l’OMC disposent déjà d’un régime de la concurrence, plus de la moitié d’entre eux ayant été mis en place au cours des dix dernières années. Cela signifie que beaucoup de pays en développement essayent de garantir la meilleure répartition possible de leurs ressources nationales limitées et de protéger leurs consommateurs des pratiques anticoncurrentielles de fournisseurs locaux. Il faut ajouter que l’on considère généralement qu’une volonté ferme de garantir que les entreprises locales fonctionnent dans un environnement national totalement concurrentiel est le seul moyen  de créer des entreprises qui soient capables de réussir sur les marchés mondiaux à l’exportation.

10. Au cours d’une conférence d’experts sur la concurrence organisée par la CNUCED en 2001, le Secrétaire général a déclaré :

« Je suis convaincu qu’une politique de la concurrence correctement mise en œuvre peut faire beaucoup pour lutter contre la pauvreté, accroître la compétitivité et promouvoir le développement. » Il a ajouté qu’il considérait la concurrence comme « l’âme du marché….et non pas comme quelque chose de nécessaire uniquement après avoir atteint un niveau élevé de développement » [Note 4].

11. D’ailleurs, il est de plus en plus largement admis que des programmes de libéralisation économique de grande ampleur peuvent difficilement être efficaces – et risquent même être anti-productifs – sans politique de la concurrence. Ainsi, la libéralisation des échanges, la privatisation des entreprises publiques, la déréglementation et la suppression des monopoles, l’abolition du contrôle des prix, la stimulation de l’investissement étranger direct doivent tous s’appuyer sur un régime de la concurrence [Note 5]. Les régimes efficaces en la matière peuvent être considérés comme l’une des facettes de la bonne gouvernance, établissant un équilibre entre les droits des consommateurs et ceux des producteurs, et faisant contrepoids aux pressions liées à l’ouverture accrue des marchés nationaux.

12. Dans beaucoup de pays en développement, l’absence d’un environnement véritablement concurrentiel entrave l’établissement et la croissance des industries qui profitent aux consommateurs et au secteur privé de ces pays.

13. Malheureusement, il n’est ni facile ni simple d’instaurer des lois valables en la matière et de mettre en place des autorités crédibles chargées de la concurrence. Si l’on admet généralement qu’il n’existe pas d’idéal de type « taille unique pour tous » (tout dépend par exemple du niveau de développement et de la taille de l’économie), il est évident que les pays qui ont une expérience dans la création et l’administration d’une législation de la concurrence disposent d’un savoir-faire utile à d’autres. D’où l’accent particulier mis, dans les débats à l’OMC, sur l’assistance technique, le renforcement des capacités et la coopération internationale entre les autorités, qui sont à la base des travaux entrepris au sein d’autres institutions. Comme le dispose la Déclaration de Doha, la fourniture de cette aide sera certainement au cœur de tout accord de l’OMC sur la concurrence qui résulterait du Programme de travail de Doha. Le paragraphe du dispositif est le suivant :

« Nous reconnaissons les besoins des pays en développement et des pays les moins avancés en ce qui concerne un soutien accru pour une assistance technique et un renforcement des capacités dans ce domaine, y compris l’analyse et l’élaboration de politiques de façon qu’ils puissent mieux évaluer les implications d’une coopération multilatérale plus étroite pour leurs politiques et objectifs de développement, et le développement humain et institutionnel. À cette fin, nous travaillerons en coopération avec les autres organisations intergouvernementales pertinentes, y compris la CNUCED, et par les voies régionales et bilatérales appropriées, pour fournir une assistance renforcée et dotée de ressources adéquates pour répondre à ces besoins. »

14. Un grand nombre de délégations ont présenté des propositions au sujet de l’assistance technique au Groupe de travail de l’interaction du commerce et de la politique de la concurrence à l’OMC. Par exemple, dans une communication présentée au Groupe de travail [Note 6], les Etats-Unis ont indiqué que, depuis près de douze ans, la Commission fédérale du commerce des États-Unis (US Federal Trade Commission, FTC) et la Division antitrust du Ministère de la justice des Etats-Unis (US Department of Justice's Antitrust Division, DOJ) fournissent une assistance technique internationale, financée essentiellement par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (US Agency for International Development, USAID), et destinée aux organismes antitrust de pays en développement et en transition. L’Union européenne [Note 7] a des programmes similaires, qui s’adressent surtout aux pays en transition, aux pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne, ainsi qu’à d’autres nations industrialisées [Note 8].

15. Certains critiques suggèrent toutefois que ces efforts de coopération technique ont été conçus pour implanter la vision de la politique de la concurrence du pays donateur sur ses marchés d’exportation, plutôt que pour adapter l’assistance et les conseils aux situations spécifiques. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute qu’un accord de l’OMC, aussi minimaliste soit-il, nécessiterait un engagement bien plus important en faveur du renforcement effectif des capacités.

IV. Première étape : la création d’une « culture » de la concurrence

16. Les experts en matière de politique de la concurrence, et tout spécialement ceux des pays en développement qui ont déjà progressé dans la mise en place de régimes de la concurrence, insistent fermement sur le fait qu’il est essentiel pour réussir de commencer par promouvoir la concurrence et faire évoluer une « culture » de la concurrence. Un document [Note 9] présenté par le Canada montre comment la réforme du secteur des télécommunications a été encouragée par une campagne de promotion de la concurrence menée par les autorités de réglementation concernées. D’autres membres de l’OMC ont fait part de leur propre expérience. Il a été suggéré que les alliances transfrontières dans le milieu des affaires et les groupes de consommateurs peuvent être des facteurs importants pour faire naître une culture de la concurrence, sans laquelle il pourrait être difficile de maintenir une législation de la concurrence. Il convient toutefois de souligner que ces cultures de la concurrence dépendent largement de la crédibilité des autorités de réglementation en la matière. Là encore, cette crédibilité peut souvent être établie en s’inspirant de l’expérience des autres pays qui sont déjà passés par ce processus.

17. Il faut par ailleurs tenir compte, dans la perspective du développement, du fait que les accords commerciaux régionaux peuvent servir de base à l’établissement de régimes de la concurrence. D’aucuns suggèrent également que les regroupements régionaux de petites économies pourraient coopérer en vue de l’élaboration de politiques et d’institutions efficaces en matière de concurrence.

V. La recherche de coopération internationale par les pays industrialisés et les pays en développement

18. La principale controverse – à l’OMC comme ailleurs – n’est pas tant liée aux préoccupations relatives au développement qu’aux difficultés quotidiennes que pose la gestion efficace de politiques de la concurrence dans une économie mondialisée, peuplée de multinationales dont les activités s’étendent dans diverses juridictions. Les examens de fusions à grande échelle ou les enquêtes sur les cartels se limitent fréquemment à une seule juridiction ; les fusions peuvent être examinées par un maximum de 60 juridictions. Les autorités chargées de la concurrence qui examinent ces transactions ont déjà l’habitude de coopérer. Cependant, bon nombre de gouvernements estiment que l’on peut encore améliorer la coopération dans ce domaine, peut-être par des règles multilatérales. En outre, certains pensent que la tendance à des examens de fusions et de cartels à avoir une portée extraterritoriale ne fait qu’accroître l’intérêt d’un cadre international de coopération, bien que tout le monde ne soit pas d’accord pour penser que l’OMC devrait nécessairement remplir cette fonction.

19. Il ne s’agit pas, loin s’en faut d’une préoccupation exclusive des pays développés. Les pays en développement membres dotés d’autorités de la concurrence totalement opérationnelles ont des préoccupations similaires. Par exemple, comment les pays plus pauvres peuvent-ils avoir une influence sur les propositions de fusion qui pourraient être considérées comme touchant principalement les marchés industriels ? Une fusion d’entreprises peut en effet  être acceptable en Europe ou aux Etats-Unis en raison du niveau de concurrence qui resterait sur le marché ; dans un pays plus petit ou plus pauvre, elle pourrait déboucher sur une situation de monopole. Cependant, les pays plus pauvres ne sont pas toujours au courant suffisamment tôt des fusions pour pouvoir prendre les mesures appropriées sur leur propre marché ; ils n’ont pas non plus toujours les moyens nécessaires pour se tenir au courant.

20. La coopération dans la lutte contre les comportements anticoncurrentiels s’est considérablement développée au niveau bilatéral, en particulier avec l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis. Les accords bilatéraux offrent divers instruments. Les instruments de « courtoisie  positive » permettent à une partie à un accord de demander à l’autre partie de prendre des mesures d’exécution visant une ou plusieurs entreprises situées sur le territoire de cette dernière et qui ont un comportement anticoncurrentiel. Les instruments de « courtoisie négative » exigent simplement de chacune des parties qu’elle tienne compte des intérêts importants de l’autre dans ses activités de surveillance de la concurrence. D’autres instruments prévoient des notifications, l’échange de renseignements et la coordination des mesures d’exécution.

VI. Amélioration de la coopération par une approche double

21. L’UE comme les Etats-Unis ont envisagé de renforcer les accords bilatéraux de coopération, tout en essayant d’adopter une approche multilatérale plus large. L’UE a tendance à préférer l’OMC en tant que vecteur de l’action multilatérale. Les Etats-Unis quant à eux ont adopté leur propre position après la publication en 2000 d’un rapport, généralement connu sous le nom de Rapport ICPAC, par le Comité consultatif de la politique de la concurrence au niveau international (International Competition Policy Advisory Committee), au sein de la Division antitrust du Ministère de la justice. Dans les conclusions dudit rapport, l’ICPAC insistait abondamment sur la nécessité d’une plus grande convergence et de moins de conflits entre les régimes internationaux en matière de concurrence, notamment dans le domaine des examens de fusions d’entreprises. Il préconisait une « Initiative mondiale sur la concurrence », mais sans instituer de nouvelle bureaucratie internationale. Le rapport évitait d’avaliser l’OMC en tant que lieu approprié pour une telle entreprise.

22. La question des examens de fusions a occupé aussi bien les grandes multinationales que les banques d’investissement qui s’occupent de fournir des conseils pour ce type de transactions. Toutes souhaitent un traitement rapide, de préférence harmonisé, et non arbitraire des opérations qu’elles proposent. Elles soulignent les frais liés à la présentation d’offres sous diverses formes, dans différentes langues et pour remplir beaucoup de critères différents. Elles souhaitent aussi garantir que les autorités chargées de la concurrence ne considèrent pas seulement que les fusions restreignent la concurrence, mais aussi qu’elles peuvent améliorer la répartition efficace des ressources et, par conséquent, la compétitivité des entreprises nationales sur le plan international. Bien sûr, l’âge d’or des fusions et acquisitions étant maintenant passé, la pression est moindre. Cependant, certains intérêts exercent des pressions sur les gouvernements, et ont donné lieu à plusieurs initiatives parrainées par le secteur privé en vue de concrétiser l’Initiative sur la concurrence de l’ICPAC. De toute évidence, le secteur privé a des doutes quant à la capacité de l’OMC à donner des résultats à court terme, dans les domaines qui intéressent les grandes entreprises.

VII. Examen par les pairs et règlement des différends

23. D’après une note d’information de l’OMC [Note 10], les discussions qui ont eu lieu jusqu’à présent au Groupe de travail ont souligné certains éléments essentiels d’une éventuelle coopération volontaire dans un cadre multilatéral sur la politique de la concurrence, à savoir : (i) une coopération ponctuelle et (ii) une coopération dans le partage des renseignements et des expériences pour les questions d’intérêt général. Certains participants envisagent la création d’un Comité de la politique de la concurrence à l’OMC qui serait chargé de superviser ces travaux.

24. Il est bien évident que pour les pays en développement qui n’ont pas les capacités d’enquête ni les capacités administratives pour mener des procédures lorsque les affaires de concurrence proviennent d’autres pays, la solution (i) est intéressante. Dans le même temps, les autorités de réglementation déjà établies sont nerveuses à l’idée d’être tenues de partager des informations commerciales extrêmement confidentielles avec des autorités de la concurrence nouvellement créées et qui n’ont pas encore fait leurs preuves. Même le partage d’informations sur des grandes fusions entre les autorités antitrust/concurrence de Bruxelles et Washington peut être délicat. 

25. Outre la fourniture traditionnelle de l’assistance technique et du renforcement des capacités (principalement par le biais de séminaires), la notion d’examen par les pairs a été évoquée dans le débat sur la politique de la concurrence. Au Groupe de travail, on a parlé d’utiliser le mécanisme d’examen des politiques commerciales existant ou une version adaptée de ce mécanisme, dans le cadre d’un Comité de la politique de la concurrence. Dans un document du Secrétariat de l’OCDE [Note 11], l’examen par les pairs est considéré comme faisant partie intégrante du processus de convergence des politiques internationales en matière de concurrence, et constitue également un instrument de transparence au plan international, autant qu’un instrument  de l’élaboration de bonnes politiques nationales. Le rapport évalue les avantages et les inconvénients du recours au Mécanisme d’examen des politiques commerciales ou aux procédures d’examen par pays de l’OCDE, en concluant qu’il serait souhaitable de prévoir un système spécialisé hybride dans le cadre d’un éventuel Accord de l’OMC.

26. S’il est vrai que la notion d’examen par les pairs semble être largement acceptée et considérée comme un bon outil de renforcement des capacités, certains membres de l’OMC estiment que c’est également une alternative à l’application du règlement des différends en matière de concurrence. Bien entendu, il a été fait référence, au Groupe de travail, à la question du règlement des différends et de l’examen par les pairs, en particulier pendant la dernière réunion du Groupe de travail avant Cancún, en mai 2003. Les membres ont présenté des communications sur le processus d’examen par les pairs et l’application du règlement des différends, et ce jusqu’à la dernière minute avant cette réunion, y compris les Etats-Unis [Note 12] et les Communautés européennes [Note 13]. Il est probable que les travaux futurs sur l’interaction du commerce et de la concurrence se concentrent d’avantage sur les façons dont l’ examen par les pairs et le règlement des différends pourraient être utilisés dans un Accord sur la concurrence de l’OMC, puisque ces questions n’ont pas encore été suffisamment traitées. 

VIII. Ententes injustifiables – la bête noire de la politique de la concurrence

27. Le domaine qui s’impose comme une évidence pour la coopération internationale en matière de politique de la concurrence (cela intéresse à la fois les pays en développement et les pays développés) est la lutte contre les grandes ententes ou cartels commerciaux. C’est le seul aspect concret de la politique de la concurrence qui figure dans le mandat de Doha et doit être examiné avant la conférence ministérielle de Cancún. Cette question a été au cœur de la session du Groupe de travail en juin 2002, et est abordée dans les activités du Groupe depuis la Conférence ministérielle de Singapour, en 1996.

28. Il n’est pas étonnant qu’elle fasse si peu l’objet de controverses et bénéficie d’une attention si particulière à l’OMC. En effet, au cours d’un symposium sur la concurrence qui s’est récemment tenu à l’OMC, un intervenant expliquait que les pays en développement ont collectivement payé 32 milliards pour l’importation de produits fournis par seulement 16 ententes internationales de ce type. Ce chiffre représente un tiers de l’aide reçue par les pays en développement. Il a en outre été ajouté que lorsque ces cartels ou ententes seront démantelés, les prix dans la région pourraient baisser de 20 à 40 pour cent. Parmi les nombreux exemples d’ententes de grande ampleur figurent le cartel des vitamines, démantelé il y a plusieurs années, et le cartel de l’acier appelé « Est de la Birmanie », dans le cadre duquel les entreprises de sidérurgie asiatiques et européennes sont convenues de ne pas se faire concurrence sur les marchés de chaque côté d’une ligne traversant la Birmanie. Ce dernier, bien qu’illégal, fonctionne toujours régulièrement, selon certaines informations. L’OCDE se penche sur ce problème depuis plusieurs années et a adopté en 1998 une Recommandation concernant une action efficace contre les ententes injustifiables. Dans un rapport sur les sanctions à l’égard des membres de tels cartels injustifiables [Note 14], l’OCDE concluait que malgré l’augmentation des amendes moyennes contre les entreprises et les responsables (atteignant plus de 100 millions de dollars EU dans trois pays), cela ne suffisait sans doute pas encore pour avoir un effet dissuasif.

29. La note d’information du Secrétariat de l’OMC sur les ententes injustifiables [Note 15], distribuée en juin 2002, note que de l’avis général au Groupe de travail les ententes sont la pratique anticoncurrentielle la plus pernicieuse, tant du point de vue du commerce et du développement, que de celui de l’application de la législation sur la concurrence. Elles font peser sur les consommateurs et les économies des membres de l’OMC de lourds coûts. Même lorsqu’elles ne touchent pas l’accès aux marchés en tant que tel, mais c’est fréquemment le cas, les ententes perturbent le fonctionnement efficace des marchés internationaux et compromettent donc les avantages qui devraient découler de la libéralisation des échanges. Leurs conséquences ne prennent pas toujours simplement la forme d’une augmentation des prix au détail. Très souvent, les produits dont les prix sont maintenus artificiellement hauts par l’action des cartels sont des intrants industriels. Les effets sur les prix à la consommation se font alors sentir pour une multitude de produits finis.

30. L’essentiel de la discussion au Groupe de travail porte sur la coopération internationale au niveau des enquêtes et de la mise en œuvre en ce qui concerne la lutte contre les ententes. Toutefois, dans les propositions faites par certains membres de l’OMC pour l’élaboration d’un cadre multilatéral sur la politique de la concurrence, l’un des éléments clés est un engagement d’interdiction des ententes injustifiables.

IX. Le rôle des principes fondamentaux de l’OMC dans un Accord multilatéral sur la concurrence

31. Le mandat de Doha dispose que le Groupe de travail doit clarifier les principes fondamentaux, y compris la transparence, la non-discrimination et l’équité au plan de la procédure. Jusqu’à présent, les activités post-Doha du Groupe se sont axées sur l’assistance technique, le renforcement des capacités, la coopération internationale et les ententes injustifiables, ainsi que les éléments de progressivité et de flexibilité. Des propositions détaillées ont été présentées par des pays développés et des pays en développement, notamment l’Argentine, la Chine, Hong Kong, Chine, l’Inde, la Corée et la Thaïlande, entre autres. Les rapports 2001 et 2002 [Note 16]au Conseil général donnent un aperçu des points soulevés.

32. Les principes de la non-discrimination (y compris le traitement national et celui de la nation la plus favorisée), la transparence, la flexibilité et la progressivité, le traitement spécial et différencié ainsi que la régularité des procédures ont fait l’objet de débats. Certains participants ont estimé qu’un cadre s’appuyant sur ces principes pourrait, quelle que soit la taille d’une économie ou d’un pays, servir de base pour mettre en place une politique de la concurrence qui contribue au bien-être des consommateurs autant qu’aux objectifs liés au développement [Note 17]. Par ailleurs, certains pays en développement se sont déclarés préoccupés à l’idée que l’application de ces principes pourrait empiéter sur leur souveraineté en matière de réglementation dans les domaines essentiels que sont la politique sociale et le développement. Les partisans d’un Accord sur la concurrence rejettent cette idée, mais il apparaît clairement que d’autres travaux sont nécessaires afin de déterminer ce que signifient concrètement ces principes dans le contexte des politiques nationales de la concurrence.

33. Quoi qu’il en soit, on a souvent souligné qu’à l’exception des ententes injustifiables, les partisans ne demandaient pas l’adoption de dispositions communes relatives au fond des législations ou des politiques d’application en matière de concurrence. Le cadre éventuel laisserait une grande marge de manœuvre pour la plupart des aspects des régimes législatifs nationaux en la matière.

X. Eléments probables d’un éventuel Accord sur la concurrence de l’OMC

34. La Conférence ministérielle de Cancún devra prendre une décision sur les « modalités » des négociations qui pourraient s’ensuivre. Généralement, on considère que ce terme fait référence autant à la forme procédurale (l’architecture) d’un éventuel accord, qu’aux éléments de fond qu’il pourrait couvrir. La question essentielle sera celle du traitement des pays en développement, et en particulier la portée du traitement spécial et différencié. Bien qu’il soit trop tôt pour que le Groupe de travail de l’OMC aborde officiellement ce point délicat, on trouve certaines indications quant à la nature de la flexibilité et de la progressivité qui pourraient être envisagées dans les discussions qui ont précédé Doha et dans les propositions d’autres institutions. La CNUCED et l’OCDE [Note 18] ont envisagé différentes possibilités, notamment :

● Une structure souple du type AGCS (Accord sur les services de l’OMC) permettant la prise d’engagements progressifs et surtout sur une base volontaire.

● Un accord-cadre large comprenant très peu de principes fondamentaux et laissant la place aux exemptions et exclusions.

● Un accord plurilatéral. Avant Doha, l’UE avait lancé l’idée d’un accord auquel les membres pourraient choisir de participer ou non à l’issue des négociations. Cette proposition a été vivement critiquée parce qu’elle recréait une idée d’OMC à deux niveaux, et parce que des liens pourraient être établis avec d’autres aspects du Programme de travail de Doha.

● Des périodes de transition généreuses. Il a été noté que le traitement spécial et différencié peut être une épée à double tranchant. D’une part, beaucoup de pays ont besoin de temps car ils commencent à peine à mettre en place des législations et institutions de la concurrence crédibles ; il leur faut du temps, mais aussi une assistance technique intensive. D’autre part, si les économies des pays en développement restent encore un moment ouvertes aux pratiques commerciales restrictives (en particulier, les monopoles et ententes des entreprises nationales), cela risque d’être anti-productif et de ralentir le processus de développement lui-même.

Note 1: WT/WGTCP/6, 9 décembre 2002. (retour texte)

Note 2: Conclusions de la Table ronde sur la politique et le droit de la concurrence, juillet 2000, organisée par le Département du développement international du Royaume-Uni. (retour texte)

Note 3: Rapport du Haut comité de la politique et du droit de la concurrence, Inde, 2000. (retour texte)

Note 4: Déclaration de M. Rubens Ricupero, troisième session du Groupe intergouvernemental d’experts sur le droit et la politique de la concurrence, Genève, 2 juillet 2001. (retour texte)

Note 5: CNUCED, Rapport consolidé sur les questions examinées lors des séminaires régionaux post-Doha qui se sont tenus successivement à Panama, Tunis, Hong Kong et Odessa entre le 21 mars et le 26 avril, publié le 15 mai 2002. (retour texte)

Note 6: WT/WGTCP/W/185, Groupe de travail de l’interaction du commerce et de la politique de la concurrence, communication des Etats-Unis, 22 avril 2002. (retour texte)

Note 7: WT/WGTCP/W/223, Projets et programmes d’assistance technique fournis par les Communautés européennes et leurs Etats Membres et politique de la concurrence, 27 février 2003. (retour texte)

Note 8: Voir, par exemple, la communication de l’Australie, document WT/WGTCP/W/190, du 29 mai 2002. (retour texte)

Note 9: WT/WGTCP/W/146, Groupe de travail de l’interaction du commerce et de la politique de la concurrence, communication du Canada, 12 septembre 2000. (retour texte)

Note 10: WT/WGTCP/W/192: Modalités de la coopération volontaire. Note d’information du Secrétariat, 28 juin 2002. (retour texte)

Note 11: L’examen par les pairs : mérites et approches dans le domaine des échanges et de la concurrence. Groupe conjoint sur les échanges et la concurrence. COM/TD/DAFFE/COMP(2002)4/FINAL. Peut être consulté sur le site Web de l’OCDE à l’adresse électronique suivante : www.oecd.org. (retour texte)

Note 12: WT/WGTCP/W/233, De l’utilité de l’examen par les pairs des régimes de la concurrence dans le cadre de l’OMC, 26 juin 2003. (retour texte)

Note 13: WT/EWGTCP/W/229, Règlement des différends et examen par les pairs :options pour un Accord de l’OMC sur la politique de la concurrence, 14 mai 2003. ( retour texte)

Note 14: OCDE – Rapport sur la nature et l’impact des ententes ainsi que sur les sanctions au titre des législations de la concurrence nationales. Peut être consulté sur le site Web de l’OCDE. (retour texte)

Note 15: WT/WGTCP/W/191, op. cit. Dispositions relatives aux ententes injustifiables. Note d’information du Secrétariat, 20 juin 2002. (retour text)

Note 16: WT/WGTCP/5, 8 octobre 2001; WT/WGTCP/5, 9 décembre 2002. (retour texte)

Note 17: WT/WGTCP/W/234, Communication des Communautés européennes et de leurs États Membres, Flexibilité et progressivité, 26 juin 2003. (retour texte)

Note 18: Groupe conjoint sur les échanges et la concurrence. « Le rôle du « traitement spécial et différencié » à l’interface des échanges, de la concurrence et du développement ». Direction des échanges de l’OCDE, décembre 2001. Document COM/TD/DAFFE/CLP(2001)21/FINAL. Peut être consulté sur le site Web de l’OCDE. (retour texte)

 

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